Covid19, Droit international de la santé
Le principe de précaution et la Covid 19 : trop de précaution a tué le principe de précaution.
31 décembre 2020
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L’Europe, le Monde, est confronté à une épidémie sans précédent récent, et les connaissances sur le virus sont incertaines, ou en tout cas évolutives.
Les professionnels de santé sont soumis à rude épreuve et les services de réanimation à des tensions périodiques qu’il est légitime de soulager.
Sujet
Principe de précaution
Durée de lecture
5 minutes
Cible(s)
citoyens
décideurs publiques
En bref
Le principe de précaution a été invoqué tout au long de la crise de la Covid 19 pour justifier tout et souvent n'importe quoi. Ce dernier n'est pas un fourre-tout mais un cadre juridique précis dans lequel doivent évoluer les décisions publiques en cas d'incertitude scientifique
L’Europe, le Monde, est confronté à une épidémie sans précédent récent, et les connaissances sur le virus sont incertaines, ou en tout cas évolutives.
Les professionnels de santé sont soumis à rude épreuve et les services de réanimation à des tensions périodiques qu’il est légitime de soulager.
C’est à cette fin qu’a été ordonné un confinement généralisé en mars, puis allégé en novembre, et c’est à ce titre qu’ont été fermés des commerces non essentiels et que demeurent interdits un certain nombre d’activités telle que celle d’hôtellerie restauration, ou encore les salles de sport ou les activés culturelles.
Pourtant, il est difficilement contestable, car c’est l’aveu même des autorités sanitaires, qu’à cette heure, aucun élément ne permet d’identifier avec précision les endroits où le virus circule et donc les lieux où on se contamine le plus.
Pour autant, la mise en place de mesures sanitaires restrictives n’est pas, en elle-même, un souci, et au contraire, elle est même une nécessité, au nom du principe de précaution.
Ce principe, tout le monde le connait, ou plutôt tout le monde en parle et croit ainsi le connaitre.
Les uns et les autres lui attribuent des vertus et des vices qu’il n’a pourtant pas, et l’auteur de ces lignes, qui a eu le privilège de lire à peu près tout sur le principe tant décrié, est convaincu qu’en réalité si tout le monde le convoque, personne ne le reçoit, car personne ne sait ce que c’est.
C’est à cette fin qu’il nous a paru indispensable de retracer la genèse du principe de précaution et de tenter de répondre à la question de savoir si la fermeture prolongée des restaurants, salles de spectacle ou salles de sport par exemple, peuvent être justifiées par la mise en œuvre d’un tel principe
On découvrira que tel n’est pas le cas, et qu’au contraire, d’une certaine façon, il est parfaitement possible de soutenir que le principe de précaution a été enterré avec la liberté.
Naissance d'un principe
Le principe de précaution s’applique à l’origine aux pouvoirs publics qui ont la responsabilité de prendre les mesures nécessaires afin d’éviter les risques en matière d’environnement. Puis cela a été étendu à la santé.
Il repose sur l’incertitude d’un risque : qu’il s’agisse d’une incertitude quant à sa réalisation ou une incertitude quant au risque lui-même qui n’a pas été scientifiquement prouvé.
La charte de l’environnement consacre ce principe de précaution, de sorte qu’on le sait, il a désormais une valeur constitutionnelle.
En outre, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt Commune d’Annecy du 3 octobre 2008 tous les droits contenus dans la charte de l’environnement ont une valeur juridiquement contraignante. Ainsi les lois prises pour permettre l’application de ce principe pourront être soumises au Conseil constitutionnel (cas de la décision constitutionnelle du 19 juin 2008 sur les OGM).
Le conseil d’Etat a eu à connaitre du principe de précaution à de nombreuses reprises.
Par exemple il retient la responsabilité de l’état dans l’affaire du sang contaminé en 1993 « il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux (…) ; que cette carence fautive de l'Administration est de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ».
Cet arrêt est une illustration claire du principe. Ainsi L'État français est alors condamné « sur la base de connaissances encore non validées et montre que, face à un risque suspecté mais non encore identifié, ne pas agir devient une faute. Dans un tel cas, l'inaction rend coupable » (P. Leprêtre et B. Urfer, Le principe de précaution, une clef pour le futur : L'Harmattan, 2007, p. 29).
Au niveau européen, le principe de précaution a été reconnu à travers le traité de Maastricht. Cette protection est accordée par l’article 191 du TFUE concernant l’environnement : « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. »
La commission européenne (COM(2000)1.) suite à la demande du Conseil de l’Europe, a défini la notion de précaution : « l'invocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi. » Elle ajoute qu’il appartient aux décideurs politiques de chaque état de définir les contours (affirmation reprise par la Cour européenne dans plusieurs arrêts, la CJCE, réaffirmé cela le 17 sept. 1998CE aff. C-400/96 ainsi que dans un arrêt du 2 déc. 2004).
Et concrètement ?
Présenté ainsi, le principe de précaution devient une arme redoutable et finalement empêche toute prise de risque de la part des autorités publiques, qui seraient, en fonction des circonstances, tenter d’agir au risque de créer des désordres économiques et sociaux terribles, comme c’est le cas pendant la pandémie actuelle, ou tenter de s’abstenir, en application de la maxime selon lequel dans le doute mieux vaut s’abstenir.
C’est au nom de ce principe très critiqué que les commerces et autres ont fermé et que certains secteurs d’activité ne rouvrent pas.
Pourtant, des voix s’élèvent de plus en plus car il apparait à peu près constant désormais qu’on multiplie les restrictions en oubliant un paramètre majeur : notre situation de crise sanitaire est appelée à s’inscrire dans le temps.
Et c’est ici qu’intervient la nécessité de se demander si ce principe est invocable au long cours, quitte à rayer de la carte de France restaurants, salles de sports et autres.
La réponse est donnée par la commission européenne laquelle a cru, dans le passé déjà, devoir préciser qu’elle entendait « dissiper une confusion qui existe entre l'utilisation du principe de précaution et la recherche d'un niveau zéro de risque qui, dans la réalité, n'existe que rarement. »
Plus important encore la commission confronte ce principe avec d’autres principes afin d’en déterminer les limites, dont voici quelques-unes :
- proportionnalité, notamment par rapport au niveau de protection recherché
- non-discrimination : on ne peut traiter différemment des situations identiques
- cohérence avec des mesures similaires adoptées précédemment
- analyse coûts-bénéfices de l'action ou de l'absence d’action
- réexamen à la lumière des nouvelles données scientifiques
- capacité à attribuer à un acteur la responsabilité de produire les preuves.
Le parlement européen soutient cette vision dans sa résolution du 14 décembre 2000. Tout comme le conseil de l’Europe dans ses conclusions du 10 décembre 2000.
La Cour de Justice a posé plusieurs gardes fous dont la narration n’est pas inutile
En exerçant leur pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent doivent par conséquent être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique, ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 90).
Certes, l’évaluation que l’État membre est tenu d’effectuer pourrait révéler un grand degré d’incertitude scientifique et pratique à cet égard. Une telle incertitude, indissociable de la notion de précaution, influe sur l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’État membre et se répercute ainsi sur les modalités d’application du principe de proportionnalité. Dans de telles circonstances, il doit être admis qu’un État membre peut, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Toutefois, l’évaluation du risque ne peut se fonder sur des considérations purement hypothétiques (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 91).
Une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé de l’utilisation proposée du produit dont la commercialisation est interdite et, en second lieu, une évaluation compréhensive du risque pour la santé fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 92).
Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, sous réserve qu’elles soient non discriminatoires et objectives (arrêt du 28 janvier 2010, Commission/France, C‑333/08, EU:C:2010:44, point 93).
Le principe de précaution ne saurait justifier la fermeture des commerces
Si de nombreuses incertitudes existent à propos de ce virus, le danger qu’il représente au niveau social, humain et économique ne peut plus être nié.
Face à l’incertitude du lien de causalité entre l’ouverture des petits commerces et la transmission du covid-19, le gouvernement par précaution a décidé de les fermer.
Les conditions d’applications du principe de précaution sont donc réunies : un risque non scientifiquement prouvé dont la réalisation relève de l’hypothétique.
Cependant, on l’a vu, les limites au principe sont nombreuses, et la commission européenne lorsqu’elle a défini le principe de précaution a rappelé que ce dernier devait être combiné avec le respect d’autres principes. De cette manière, tout en laissant les Etats membres fixer eux même le degré d’application du principe la commission européenne entend l’encadrer.
Ce dernier doit être proportionné à la mesure prise, cohérent avec des mesures similaires adoptées précédemment, non discriminatoire, et surtout il faut analyser le coûts-bénéfices de l'action ou de l'absence d’action.
Pendant le premier ainsi que le deuxième confinement seuls les magasins dits de première nécessité sont restés ouverts. Durant la première vague des agriculteurs ont pourtant vu leurs marchés plein air être fermés, tandis que les grandes surfaces en espace clos restaient ouvertes.
De plus certains magasins non alimentaires étaient fermés pendant que les grandes surfaces vendaient le même genre de produits (surtout pendant la première vague).
D’autres incohérences pourraient être citées comme la délimitation même des commerces de première nécessité ou encore l’évolution des autorisations d’ouverture des magasins entre la première et la seconde vague.
Alors les questions suivantes se posent : la fermeture des petits commerces était-elle proportionnée à la crise de la Covid 19 ? La fermeture des petits commerces semble elle être cohérente aux mesures similaires adoptées précédemment ? La mesure coût (perte de revenus de nombreux commerçants) bénéfice (baisse du taux de contamination) est-elle positive ?
Ce sont précisément ces questions qui permettent de remettre en cause la nécessité de fermer les petits commerces. Car comme rappelle la commission le but du principe de précaution n’est pas de répondre au risque zéro. Il existe peut-être des risques de contamination au sein des lieux aujourd’hui clos, cependant ces risques sont tout aussi probables au sein des grandes surfaces, et le risque scientifique à cet égard ne semble pas justifier cette différence de traitement, tandis qu’aucune étude ne démontre que la réduction du niveau de probabilité «contaminatoire » ne serait pas possible autrement, par des mesures moins coercitives.
La fermeture peut donc apparaitre comme disproportionnée et discriminatoire, et l’Etat a commis une faute probable dans la mise en œuvre du principe de précaution.
Enfin le rapport coût/bénéfice semble être plutôt laborieux quand on regarde, l’endettement des magasins forcés à fermer ainsi que le taux de fermetures définitives des petits commerces ou encore le taux de chômage dans le pays.
Aux bénéfices, ces derniers sont relativement difficiles à constater du fait de la persistance de l’incertitude du lien de causalité entre contamination et fermeture.
Les contaminations ont certes baissé pendant les confinements, mais aucun lien de causalité n’a encore démontré, tandis qu’au contraire, des éléments tendent à laisser entendre que l’épidémie avait commencé sa pente descendante avant même le couvre-feu, dont d’ailleurs on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une mesure largement suffisante en elle-même, et une alternative au sens où la jurisprudence l'entend
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Ainsi les mesures de précautions prises pendant cette crise se heurtent à de nombreuses libertés fondamentales qui pour la plupart ont elles aussi une valeur constitutionnelle.
"Le principe de précaution n'est pas le risque zéro !"
Fabrice Di Vizio
Conclusion
En conclusion, il apparait que l’action engagée par le collectif les pendus et visant à ob-tenir une indemnisation de l’entier préjudice subi par les mesures de fermeture des com-merces et autres secteurs d’activité sinistrés a des chances de succès certaines, en ce que le principe de précaution ne peut valablement justifier les fermetures ainsi décidées et encore moins leur durée.
Le risque zéro, nous ne le répéterons jamais assez, n’est pas compatible avec la vie en société, et la crainte du juriste est toujours qu’in fine, le principe de précaution, en temps d’urgence sanitaire, soit toujours l’arbre qui cache la forêt épaisse des atteintes aux droits et libertés fondamentales