Professionnels de santé
Escroquerie à la CPAM et complicité de trafic de stupéfiants
Stade de l'affaire
Dossier clos
Parties concernées
Médecin généraliste
CPAM
Thèmatique(s)
Santé publique
Escroquerie
Stupéfiants
Partenaire(s)
Aucun
Le contexte
Le Docteur F est médecin généraliste dans une banlieue sensible et assure, à ce titre, la prise en charge d'une patientèle toxicomane, à la recherche de TSO. La proportion de patients sous Subutex est de l'ordre de 20 % se répartissant entre une frange minoritaire désocialisée et hyperconsommatrice, et une frange majoritaire socialisée et normo dosée.
La CPAM, ayant analysé l'activité du médecin, retient que les prescriptions à destination de la première catégorie sont largement problématiques en ce que :
- le dosage est supérieur à 16 mg et à ce titre n'est pas conforme à l'AMM, mettant en danger les patients, et favorisant un mésusage de la molécule, puisqu'il est notoire que le Subutex est revendu en grande partie dans la rue ou échangé contre de l'héroine ;
- les chevauchements de prescription, le nombre de consultations caractérisent le délit d'escroquerie à la Caisse, générant un préjudice de 10 000 € au moins.
La procédure
Le médecin a été mis en examen et interdit d'exercice au titre du contrôle judiciaire. Il a été assisté d'un Conseil dont la stratégie a été de tenter de montrer que les chiffres avancés par la CPAM étaient erronés.
Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel et a été condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis ajouté d'une interdiction d'exercice de la médecine pendant 18 mois. L'affaire a été renvoyée sur intérêts civils.
Nous avons été saisis au stade de l'appel.
Notre premier regret a sans doute été que notre prédécesseur n'ait pas demandé des actes concrets au juge d'instruction, comme par exemple l'expertise médicale des patients ayant reçu un dosage élevé de Subutex.
En effet, le postulat du dossier était de considérer qu'un dosage au dessus de 16 mg constituait un mésusage, sous-entendant que le patient n'avait pas besoin de ce traitement, et qu'il était prescrit en pleine connaissance de cause.
Mais cette affirmation n'était étayée par aucun élément de preuve tangible, en ce qu'il est notoire que le dosage français est sous-évalué si l'on regarde la littérature médicale et les dosages retenus dans d'autres pays qui sont à 24 mg, tandis que les recommandations de la HAS admettent que certains patients puissent avoir besoin de 32 mg.
Notre stratégie en cause d'appel a donc été de tenter de recentrer le débat sur le terrain médical, expliquant que la toxicomanie était une pathologie complexe et nécessitant une souplesse.
Nous avons rappelé que les Traitements de substitution à l'héroïne n'avaient pas vocation à sevrer le patient, n'étant pas des traitements de sevrage, mais à remplacer une drogue illégale et dangereuse par une "drogue" légale et avec un effet plafond qui empêchait l'overdose.
Cependant, au stade où nous sommes intervenus, nous étions pleinement conscients qu'une telle argumentation se heurterait au mur du : "Pourquoi ne pas l'avoir indiqué avant ? Pourquoi ne pas avoir demandé au juge d'instruction de nommer un expert, et attendre la cour d'appel pour faire pareille demande ?"
Les résultats
Nous avons quand même limité les dégâts en ramenant la peine à de plus justes proportions et, surtout, en ouvrant un deuxième front contre l'assurance maladie, en déposant une plainte contre elle comme complice.
Cette contre-attaque constitue l'identité profonde du cabinet : comment peut-on d'un côté reprocher à un médecin de faciliter un trafic de stupéfiants, tout en validant des protocoles de soin soumis par ce dernier ? Comment d'un côté dire que le médecin prescrit abusivement du Subutex à des patients non toxicomanes, alors que l'un d'entre eux a reçu des doses de Subutex en garde à vue ?
Enfin, nous avons agi sur intérêts civils, en nous arrangeant pour que le médecin échappe au règlement de condamnations civiles trop lourdes, en mettant un place un mécanisme juridique rendant particulièrement complexe le recouvrement des sommes qui pourraient être mises à sa charge.
Ce dossier montre que le droit pénal de la santé nécessite de connaitre les rouages du droit pénal bien sûr, mais surtout ceux du droit de la santé, ce que beaucoup de magistrats ignorent totalement. Notre rôle est précisément de les sensibiliser aux spécificités de l'exercice médical, et donc de connaitre intimement celui-ci pour pouvoir le restituer.
Mais il montre aussi l'importance d'une intervention la plus rapide possible avec mise en oeuvre d'une stratégie de défense dès le stade de l'instruction préparatoire. Ici, notre intervention a été tardive et nul doute que le dossier se serait présenté différemment à l'audience si nous avions pu intervenir au stade de l'instruction.
Chiffres clés
40
Heures
3
Collaborateurs
2
Mois